Pr Adeline RUYSSEN-WITRAND
Rhumatologue
Toulouse

Éditorial

La définition de la rémission dans la spondyloarthrite (SpA) repose sur l’absence de douleurs axiale et/ou périphérique rapportées par le patient et l’absence d’inflammation biologique (1). Les critères de rémission les plus utilisés dans la littérature sont la rémission partielle selon l’ASAS (2) et la maladie inactive en utilisant le critère ASDAS (Ankylosing Spondylitis Disease Activity Score) définie par un score ASDAS inférieur à 1,3 (3,4,5). Ces différentes définitions ont pour point commun de se baser sur l’appréciation du niveau de douleurs axiales et périphériques rapportées par le patient, sur l’évaluation globale de l’activité de la maladie par le patient et sur l’intensité de la raideur matinale, critères subjectifs rapportés par les patients (Patients Reported Outcomes ou PRO) (6). Cependant, des douleurs persistantes malgré un traitement bien conduit sont souvent rapportées par le patient atteint de SpA, en rapport avec une pathologie mécanique ou bien une fibromyalgie associée. La difficulté, pour le rhumatologue, devant des douleurs persistantes chez un patient atteint de SpA sera d’essayer d’attribuer ces douleurs à une activité persistante de la maladie, nécessitant alors un changement thérapeutique ou bien à une autre cause de douleurs rachidiennes ou périphériques qui impliquera une prise en charge appropriée.

 



a

Importance des critères patients dans la définition de la rémission

L’objectif de la prise en charge d’une SpA est d’améliorer les symptômes, de maintenir la fonction articulaire et de préserver la qualité de vie (1). Contrairement à la polyarthrite rhumatoïde ou le rhumatisme psoriasique, les experts de l’ASAS et l’EULAR n’ont pas souhaité définir un objectif de rémission à atteindre lors de la prise en charge d’une SpA car, dans cette pathologie, un tel objectif serait souvent irréalisable et responsable d’escalade thérapeutique souvent inappropriée. 

Le meilleur indice d’activité dont on dispose à l’heure actuelle est l’ASDAS (3). Un score inférieur à 1,3 témoigne d’une maladie inactive, et est associé à une moindre progression des syndesmophytes (5). Sur les 5 critères nécessaires au calcul de l’ASDAS, seule la CRP est un critère objectif d’activité, les autres critères étant des PRO et incluent la douleur axiale, la douleur périphérique, l’appréciation globale de la maladie par le patient et la raideur matinale. Ainsi, les critères patients influencent fortement le résultat de l’ASDAS (6). En effet, un patient suivi pour une SpA, ayant par ailleurs une lombalgie chronique mécanique dont il juge l’importance à 6/10 sur une échelle visuelle analogique (EVA), sans douleur périphérique, avec une raideur matinale à 3/10, une CRP à 2 mg/L a un score ASDAS à 2,2 ce qui le classe en activité modérée de sa maladie, alors que l’origine des douleurs est mécanique (avis d’expert).


Impact de la fibromyalgie associée sur l’appréciation de l’activité de la maladie

La prévalence de la fibromyalgie est de l’ordre de 10 à 30% chez les patients atteints de SpA selon les critères utilisés (7,8).
Les patients atteints de SpA ont tendance à avoir des scores d’activité plus élevés et une moins bonne réponse aux anti-TNF lorsqu’on utilise les critères de réponse clinique habituels et un moins bon maintien thérapeutique des anti-TNF (7,9). Le fait de donner des scores extrêmes, supérieurs à 8/10, sur les EVA utilisés dans les scores d’activité tels que le BASDAI est fortement associé à la présence d’une fibromyalgie avec une spécificité de l’ordre de 92% à 96% selon le critère de classification utilisé (10). Ainsi, les patients atteints de fibromyalgie ont moins de chance de remplir les critères de rémission que les patients ne souffrant pas de cette comorbidité entraînant un risque d’échecs multiples des traitements de fond. (avis d’expert)

Prévalence des pathologies mécaniques associées à la SpA

Outre la fibromyalgie, les patients atteints de SpA peuvent souffrir de pathologies mécaniques associées pouvant interférer avec l’appréciation de l’activité de la maladie par les patients. Dans la cohorte DESIR qui a inclus 648 patients d’âge moyen de 33 ans, ayant des symptômes évoluant depuis moins de 3 ans, 70% d’entre eux avaient des signes dégénératifs sur l’IRM du rachis cervical ou lombaire, prévalence comparable à celle d’une cohorte de lombalgie chronique du même âge (11). De même, dans la cohorte SPACE, incluant des patients avec lombalgie chronique, ayant en moyenne 29 ans, la prévalence des lésions dégénératives en IRM chez les sujets répondant aux critères de classification de SpA était de l’ordre de 90% (12).

Que faire quand la maladie paraît stable et que le patient va mal ?

La démarche du rhumatologue est de vérifier si les scores d’activités élevés sont en rapport avec la SpA ou une autre raison. La recherche de signes cliniques périphériques de type arthrite ou enthésite clinique ou échographique permet de rattacher ces plaintes périphériques à une éventuelle poussée périphérique de la maladie. Une CRP élevée peut témoigner d’une activité de la maladie et fait d’ailleurs partie des éléments du calcul de l’ASDAS (3). Toutefois, il faut se méfier de l’association fréquente entre le taux de CRP et le poids et une CRP anormale doit être prise en compte avec précaution chez le sujet obèse (13). La présence de sacro-iliite magnétique ou d’hypersignaux en séquence STIR évocateurs de spondyloarthrites sont également des éléments d’activité du rhumatisme mais sont souvent pris à défaut, soit par leur absence, soit par leur faible sensibilité au changement. La présence de signes objectifs d’inflammation, qu’ils soient cliniques par la présence d’arthrite par exemple, biologiques par la présence d’une CRP anormale ou sur l’imagerie, par la présence de synovites ou enthésites à l’échographie ou bien la présence d’hypersignaux en séquences STIR sur les IRM du rachis et des sacro-iliaques justifient la majoration des traitements pharmacologiques de la SpA et notamment l’usage de thérapies ciblées (14).

En l’absence de signe objectif d’inflammation, il convient de rechercher une autre cause de douleurs de type mécanique ou bien une fibromyalgie associée. Le questionnaire FiRST est un outil permettant d’identifier rapidement en consultation les patients atteints de fibromyalgie, avec de bonnes propriétés métrologiques (15). En cas de suspicion de pathologie mécanique ou de fibromyalgie, une prise en charge adaptée devra être proposée au patient. (avis d’expert)


En cas d’échecs multiples des traitements de la SpA et de rotations de biothérapies fréquentes, il convient de remettre en cause le diagnostic de SpA et l’utilité des biothérapies. Une « fenêtre thérapeutique » peut être proposée avec une réévaluation clinique, biologique et par imagerie à distance de l’arrêt (par exemple à 3 mois) afin de rechercher des critères objectifs d’activité de la SpA qui pourraient être masqués par les différentes lignes de biothérapies utilisées jusqu’alors. L’absence de majoration franche de la symptomatologie et l’absence d’apparition de signes objectifs d’inflammation doit faire rediscuter le diagnostic de SpA, et, si celui-ci n’est pas remis en cause, doit faire proposer une prise en charge globale alternative aux biothérapies comparable à celle proposée dans la fibromyalgie (avis d’expert). 



Devant l’insuffisance d’efficacité et l’échec de plusieurs lignes de traitement de fond biologique, le clinicien doit s’interroger sur l'imputabilité de la SpA sur les douleurs rapportées par la patiente et chercher des signes objectifs d’inflammation.


Vous suivez Mme S. depuis une dizaine d’années pour une SpA axiale ayant justifié la mise en route d’un anti-TNF devant l’insuffisance d’efficacité des AINS avec une excellente réponse initiale.

Depuis 3 ans, vous notez une perte d’efficacité de l’anti-TNF vous ayant conduit à essayer un autre anti-TNF et un anti-IL17 sans succès.

Vous la revoyez alors qu’elle déclare sa maladie toujours active. L’EVA globale est à 9/10, la fatigue est à 9/10, le BASDAI est à 9/10, l’ASDAS-CRP est à 3,72.

La CRP est à 1 mg/L.
Une nouvelle IRM du rachis et des sacro-iliaques ne met pas en évidence d’hypersignaux évocateurs d’activité de la maladie.
On ne constate pas de gonflement articulaire périphérique.
L’examen clinique met en évidence des douleurs rachidiennes diffuses, mais également de nombreux points d’enthèses périphériques alors que la présentation initiale était axiale uniquement centrée sur des lombo-pygalgies.

En l’absence de signes objectifs d’activité de la SpA une fibromyalgie associée est suspectée.

L’interrogatoire révèle une situation de burn out au travail majorée par la pandémie COVID-19 et des difficultés conjugales.
Le questionnaire FIRST est positif (6 questions/6 positives).

La patiente est mise en arrêt de travail, une prise en charge psychiatrique est initiée avec introduction d’un anti-dépresseur.
Des soins de kinésithérapie avec physiothérapie et balnéothérapie sont proposés.



L’atteinte périphérique inhabituelle chez ce patient, sans signe de poussée axiale doit faire rediscuter le diagnostic étiologique de l’arthrite constatée.

Vous suivez depuis des années M. B. pour une SpA axiale HLA-B27+ avec sacroiliite radiographique qui répondait très bien aux AINS. Il a pour autres comorbidités une obésité (BMI à 32) un diabète de type 2, une HTA et une dyslipidémie.

Depuis 5 ans vous avez noté une altération de la fonction rénale avec débit de filtration glomérulaire entre 50 et 60mL/min vous ayant conduit à interrompre les AINS et introduire un anti-TNF il y a 5 ans avec une excellente efficacité clinique.

Vous le revoyez en urgence pour une poussée de sa SpA avec atteinte périphérique. Vous constatez en effet une arthrite de la cheville droite, survenue spontanément depuis 3 jours et très douloureuse.

Il rapporte 3 autres épisodes d’arthrite au cours de l’année ayant touché les chevilles ou l’avant-pied. Il n’y a aucune plainte axiale. La CRP est à 160mg/L. L’ASDAS-CRP est à 5,17.

Une ponction de la cheville droite est réalisée. L’analyse du liquide synovial révèle un liquide trouble avec 65 000 éléments à prédominance de PNN et des cristaux d’urate.

L’uricémie réalisée entre 2 crises articulaires était à 520 µmol/L.

Un diagnostic de goutte est porté chez ce patient et un traitement hypo-uricémiant est introduit au décours de la crise.
La SpA est considérée en rémission et le traitement par anti-TNF est poursuivi.




Conclusion du Pr Ruyssen-Witrand

L’évaluation de l’activité de la maladie repose principalement sur le recueil de critères subjectifs basés sur l’évaluation du patient par le patient (PRO). L’interprétation de ces outils doit donc se faire en fonction du contexte patient où d’autres facteurs tels que les comorbidités, le contexte socio-professionnel, l’état psychologique peuvent interférer. La recherche de signes objectifs d’inflammation doit être systématique avant tout changement thérapeutique.


Interview du Pr Ruyssen-Witrand

Le Pr Ruyssen-Witrand nous fait part de son expérience : quand le patient dit aller bien alors que la maladie reste active.


a

Question 1

Parmi les scores suivants, lesquels peuvent être sur-évalués en cas de fibromyalgie associée à la SpA ?

Toutes les réponses étaient bonnes.

Question 2

Quels signes parmi les suivants sont des critères objectifs d’activité de la maladie ?

Les bonnes réponses étaient : 

  • Une CRP anormale 
  • Présence d’hypersignaux multiples des berges des sacro-iliaques sur les séquences STIR d’IRM des sacro-iliaques 
  • Présence d’enthésite d’Achille inflammatoire en échographie ou IRM 

Question 3

Quelle conduite à tenir peut-on proposer en cas d’absence d’atteinte de la rémission après plusieurs lignes de traitements de fond biologiques dans la SpA axiale ?

Toutes les réponses étaient bonnes.



Lexique

AINS : Anti-Inflammatoire Non Stéroïdien
ASAS : Assessment of SpondylArthritis international Society
ASDAS : Ankylosing Spondylitis Disease Activity Score
BASDAI : Bath Ankylosing Spondylitis Disease Activity Index
BAS-G : Bath Ankylosing Spondylitis Patient Global Score
CRP : Protéine C Réactive
EULAR : European League Against Rheumatism
EVA : Echelle Visuelle Analogique
PRO : Patient-Related Outcome (résultats rapportés par le patient)