Par le Pr Philippe Bertin
Rhumatologue, Limoges

Qui oserait prescrire un anti-hypertenseur sans évaluer la tension artérielle, ou un anti-diabétique sans évaluer la glycémie ? Alors pourquoi pourrions nous prendre en charge un patient douloureux sans évaluer sa douleur ?

Bien évidemment, l’évaluation de la douleur peut être une situation clinique difficile à gérer, elle peut paraître abstraite, peu rigoureuse ni suffisamment scientifique. Seul le patient est l’expert de sa douleur, mais il est parfois difficile de laisser de côté son rôle de médecin expert dans cette situation.


Évaluer la douleur aiguë

L’évaluation de la douleur aiguë fait appel à des outils unidimensionnels et est, de ce fait, exclusivement quantitative

Par ailleurs, il s’agit d’une auto-évaluation, sauf chez les patients non communicants (petit enfant, grand-âge, réanimation, etc.) : ces situations exceptionnelles en rhumatologie ne sont pas abordées dans ce texte.

Les outils sont simples : l’échelle visuelle analogique (EVA) de 0 à 100 mm, l’échelle numérique (EN) ente 0 et 10 ou l’échelle verbale simple (EVS). Ils sont illustrés dans l’annexe 1.(2)

Le patient étant le seul capable d’évaluer l’intensité de la douleur qu’il ressent, il est nécessaire de lui présenter un des outils, et de lui expliquer comment l’utiliser. (2)

Les patients sont souvent inquiets de « se tromper », de donner un « mauvais chiffre » qui pourrait, selon eux, conduire à un «mauvais choix d’antalgique » : il faut les rassurer en leur expliquant que cette évaluation n’a pour but que d’initier une stratégie thérapeutique ou d’analyser l’efficacité du traitement mis en place par la suite. (2)

En pratique, vous choisissez l’outil qui vous semble le plus approprié pour le patient, en sachant que, même si l’EVA a été l’outil le plus médiatisé, c’est l’EN qui est souvent utilisée pour des raisons pratiques évidentes, l’EVS étant réservée aux patients ayant des troubles cognitifs. (2)

Vous recueillez ainsi la valeur de l’évaluation initiale de la douleur de votre patient. Cela n’a pas de valeur intrinsèque et ne guide que très partiellement votre choix thérapeutique. Celui-ci prenant surtout en compte le type de pathologie, la globalité du patient, notamment ses comorbidités, et les traitements antérieurement reçus.

Une fois le traitement choisi et administré, il faut répéter les évaluations de la douleur avec un rythme adapté à la situation clinique et au délai d’action de l’antalgique. (2)

L’intérêt est de s’assurer de l’obtention d’une analgésie satisfaisante, habituellement définie par une EVA au moins inférieure à 40 mm ou une EN au moins inférieure à 4/10. (3) Cette cible est admise pour les douleurs aiguës intenses comme les douleurs post-opératoires mais peut être modulée en fonction du contexte clinique et de l’avis du patient. (1,2)


Évaluer la douleur chronique

L’évaluation de la douleur chronique est complexe : elle doit être à la fois qualitative et quantitative, faisant appel à des échelles multidimensionnelles proposées dans l’annexe 2. (2)

L’évaluation qualitative a pour but de différencier les types de douleur (nociceptives, neuropathiques, mixtes, nociplastiques) et d’analyser les quatre composantes de la douleur (sensori-discriminative, affectivo-émotionnelle, comportementale et cognitive). Son objectif est de choisir au mieux l’antalgique ayant le mécanisme d’action le plus approprié ou d’orienter vers des stratégies thérapeutiques antalgiques non médicamenteuses. (2,4)

L’évaluation quantitative ne fait pas appel à l’EVA ou l’EN, outils n’ayant pas d’intérêt dans la douleur chronique, mais à la quantification par le patient des différents items des échelles multidimensionnelles. Son objectif est de s’assurer de l’efficacité de la stratégie thérapeutique proposée en vérifiant la régression de la cotation des items faite par le patient. Le rythme des réévaluations est bien sûr assez espacé et dépend de la situation clinique et des objectifs thérapeutiques fixés avec le patient. (2)

Au delà de l’aide au choix de la stratégie antalgique, l’évaluation multidimensionnelle de la douleur chronique témoigne de l’intérêt que vous portez à l’écoute de la douleur du patient, et place ce dernier ipso facto, puisqu’il s’agit d’une auto-évaluation, comme acteur de sa prise en charge et lui fait prendre conscience de l’éventuelle prédominance de la composante affectivo-émotionnelle ouvrant ainsi de nouvelles stratégies de prise en charge. (2)

Ainsi, l’évaluation globale d’une douleur chronique permet de proposer au patient une ou des stratégies antalgiques médicamenteuses ou non médicamenteuses (thérapies cognitivo-comportementales, relaxation, hypnose…) et d’en évaluer l’efficacité en répétant les évaluations. (2)


Place de l’évaluation de la douleur dans les critères composites d’activité des RIC

Les critères composites d’activité des RIC (rhumatismes inflammatoires chroniques) prennent partiellement en compte l’évaluation de la douleur.

Pour la polyarthrite rhumatoïde, le DAS28, habituellement utilisé en pratique clinique et dans les essais thérapeutiques, prend en compte le nombre d’articulations douloureuses. Le médecin palpe chacune des 28 articulations prédéfinies et demande au patient de dire si c’est douloureux ou non. C’est une approche assez imprécise de la douleur ressentie du patient puisque seules 28 articulations sont analysées, puisque l’intensité de la douleur n’est pas quantifiée et puisque cela dépend de l’intensité de la pression imposée par le clinicien sur chaque articulation. Par ailleurs il est demandé au patient d’évaluer de façon globale sa maladie entre 0 et 100 mm.(5) bien souvent le symptôme douleur, étant le symptôme principal du patient, influence énormément cette évaluation mais cela n’est pas pour autant une évaluation exclusive de la douleur.(1)

Pour les spondyloarthrites, l’ASDAS, communément utilisé en pratique clinique et dans les essais thérapeutiques, comporte une évaluation globale de la douleur liée à l’atteinte axiale entre 0 et 10 (item1), une évaluation globale du gonflement ou de la douleur articulaire (item 4) et une évaluation globale de la maladie (item 3) dont la douleur ressentie est un facteur majeur. (6) Néanmoins, il n’y a pas d’individualisation claire de l’évaluation de la douleur. (1)


Discordance entre l’évaluation de la douleur faite par le patient et l’impression subjective du médecin : une situation clinique pas si rare

Il arrive fréquemment que l’évaluation de la douleur faite par le patient dans un score composite clinico-biologique comme le DAS-28 ou l’ASDAS semble discordante, non seulement des autres paramètres « plus objectifs » mais aussi de l’impression du médecin. (7) 

Dans cette situation, l’utilisation de l’auto-questionnaire des qualificatifs de la douleur chronique (Cf. Guide l’HAS -anciennement ANAES-) prend tout son sens. (2) En effet, il peut révéler des signes orientant vers des douleurs neuropathiques ou nociplastiques et/ou montrer une prédominance de la composante affectivo-émotionnelle sur la composante sensori-discriminative.

  

Échelle visuelle analogique = EVA (2)



Il faut montrer au patient comment déplacer le curseur entre l’extrémité gauche, correspondant à l’absence de douleur, et l’extrémité droite, correspondant à une douleur maximale imaginable. Ensuite, il faut donner la réglette au patient et c’est lui seul qui déplace le curseur. Puis, vous récupérez la réglette et lisez au verso le nombre de millimètres. (2)

Échelle numérique = EN (2)



Il suffit d’expliquer au patient qu’il doit évaluer la douleur qu’il ressent en donnant un chiffre entre 0 et 10 : 0 correspondant à l’absence de douleur, 5 à une douleur moyenne et 10 une douleur maximale imaginable. (2)

Cette échelle est la plus utilisée car ne nécessitant pas d’outil et étant plus facile à comprendre pour la majorité des patients. (1)

Échelle verbale simple = EVS (2)


Le patient dit simplement si sa douleur est absente, faible, modérée, intense, ou extrêmement intense. (2) Cette échelle, moins sensible au changement, n’est utilisée que chez les patients ne comprenant pas l’utilisation des échelles EVA ou EN. (1)


Auto-questionnaire des qualificatifs de la douleur (correspondant au questionnaire de Saint-Antoine abrégé, adaptation française du McGill Pain Questionnaire de Melzack) (8)

Ces adjectifs permettent d’évaluer les composantes sensorielles ou sensori-discriminatives (reflétées par les neuf premiers qualificatifs) et affectives ou affectivo-émotionnelles (reflétées par les sept derniers qualificatifs) en utilisant des termes qui ne sont pas propres au vocabulaire médical.(1,2) Cette échelle permet de distinguer ces deux composantes de la douleur chronique et permet aussi d’orienter vers des douleurs par excès de nociception ou des douleurs neuropathiques (les termes « décharges électriques, en étau, brûlures, fourmillements » évoquent une composante neuropathique ou nociplastique et incitent alors à utiliser par exemple le questionnaire DN4 de la douleur neuropathique).(3) 

Répété dans le temps ce questionnaire permet aussi de suivre l’évolution sous traitement de chacune de ces deux composantes de la douleur ce qui lui confère une connotation semi-quantitative.(2)



Échelle d’anxiété dépression ou HAD (hospital anxiety and depression scale) (2)

Elle permet de déterminer deux scores mesurant l’anxiété (colonne A) et la dépression (colonne D). Ici n’est montré qu’un extrait des items de cet auto-questionnaire.(2) 

À partir d’une valeur seuil (classiquement supérieure à 11), la symptomatologie anxieuse ou dépressive peut être affirmée. Pour les scores entre 7 et 11, c’est douteux et l’aide d’un psychiatre peut être nécessaire. En dessous de 7, il y a peu de risque qu’il existe des troubles anxieux ou dépressifs. (8) 



Échelle du retentissement de la douleur sur le comportement quotidien (8)

Cet auto-questionnaire comporte une échelle de retentissement sur les activités, le sommeil, les relations avec les autres, l’humeur, etc. La répétition dans le temps de cette échelle permet d’évaluer l’impact d’une stratégie thérapeutique sur les retentissements de la douleur chronique. (8)



DAS28 pour la polyarthrite rhumatoïde (5)



ASDAS pour les spondyloarthrites (6)



ANAES : agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé 
EN : échelle numérique
EVA : échelle visuelle analogique 
EVS : échelle verbale simple 
HAD : échelle d’anxiété dépression (hospital anxiety and depression scale) 
RIC : rhumatismes inflammatoires chroniques