Article rédigé à partir du travail collectif des Docteurs Sophie Pouplin (Rouen), Myriam Renard (Aix-Les-Bains), Mathieu Royer (Angers), Lionel Spielmann (Colmar) et Pascale Vergne Salle (Limoges)


Discordance médecin/patient dans la perception et l’évaluation de la douleur des patients atteints de rhumatismes inflammatoires chroniques : comment améliorer la corrélation ?

L’évaluation de la douleur par le médecin et par le patient dans les rhumatismes inflammatoires chroniques révèle leurs différences de perception. Le pourcentage de discordance médecin/patient relatif à l’évaluation de l’activité globale de la maladie (PtGA*>PGA**) dans l’axSpA et le rhumatisme psoriasique se situe entre 48,3% et 56,5% respectivement (1). Des chiffres qui interrogent ; dans ces conditions, comment prendre une décision médicale partagée ? C’est bien l’un des défis à relever pour les praticiens lors de la consultation.

PtGA*: Patient Global Assessment / Evaluation globale par le patient
PGA** : Physician Global Assessment / Evaluation globale par le médecin

Tenir compte de la perception des patients sur leur douleur et prendre cette décision partagée, font partie intégrante des recommandations pour la prise en charge des maladies chroniques. Un degré significatif de divergence a été observé entre les patients et les médecins concernant l’activité de la maladie, le traitement, les attentes cliniques, le concept de rémission et la relation patient—médecin. Dans le rhumatisme psoriasique en particulier, l’activité de la maladie est perçue comme étant plus active du point de vue du patient par rapport au point de vue du médecin. Cet écart est déterminé par des facteurs tels que le ressenti de la douleur et de la fatigue par le patient (2).


Discordance médecin/patient sur l’évaluation de la douleur articulaire : quelles sont les éventuelles causes ?

L’une des hypothèses serait un temps limité lors de la consultation pouvant conduire à réduire les questions relatives à l’évaluation de la douleur articulaire ainsi que l’utilisation des outils à disposition.

Autre hypothèse : la douleur est un sujet complexe qui n’a eu de cesse d’évoluer. Les dernières avancées médicales relatives aux différentes typologies de la douleur pourraient être encore méconnues et donc représenter un frein à la mesure objective du niveau de douleur du patient. Ce qui susciterait par conséquent, une évaluation erronée de cette dernière.

Il existe également une différence de perception quant à l’intensité de la douleur et sa gravité selon le sexe du patient. Dans le cas des spondyloarthrites, les femmes ont davantage d’atteintes périphériques que d’atteintes axiales comparativement aux hommes.
Ces différences peuvent affecter la perception de l’activité et de la gravité de la maladie par le clinicien, et ainsi influencer la prise en charge de la douleur du patient (6).


Prévalence de la localisation de la douleur, selon le sexe, chez les patients atteints de spondyloarthrite axiale

Swinnen et al. Arthritis Research & Therapy (2018) 20:156


De façon plus générale, le rhumatologue a tendance à rechercher les signes inflammatoires. Cette recherche l’incite à se concentrer sur les scores de l’activité de la maladie, là où le patient se concentre sur une vision plus subjective de sa maladie, à travers l’impact qu’elle génère sur sa qualité de vie (3, 2).


Quelles sont les conséquences d’une discordance dans l’évaluation de la douleur ?

Les patients et les médecins se concentrent sur différents aspects de la maladie entraînant des perceptions différentes de la gravité de la maladie, des attentes cliniques, de la réponse au traitement. Dans les maladies inflammatoires à médiation immunitaire, ces divergences sont associées à de moins bons résultats cliniques, à une réduction de productivité du travail et à une qualité de vie inférieure (2).

Une étude a été menée sur 705 patients atteints de spondylarthrite ankylosante et provenant de 13 pays. Elle avait pour objectif d’évaluer la sévérité, la fréquence, la persistance des symptômes et l’impact de la douleur et de la fatigue sur la qualité de vie des patients. Les poussées sont plus fréquemment rapportées chez les patients présentant un niveau élevé de douleur* (11,4%) comparativement aux patients ayant un niveau faible de douleur** (3,2%). Parmi ces patients ayant un niveau élevé de douleur, 39,6% ont été considérés comme étant en rémission et 85,6% ont été considérés comme ayant une maladie stable ou en voie d’amélioration par leur médecin. Des chiffres qui corroborent une discordance entre l’évaluation de la maladie rapportée par les patients et celle des médecins (4).

*Patients ayant des scores de douleur à la question 2 du BASDAI compris entre 5 et 10
**Patients ayant des scores de douleur à la question 2 du BASDAI inférieur à 5.

La douleur est significativement associée à une qualité de vie plus impactée et à une diminution de la productivité au travail. Un pourcentage significativement plus élevé de patients signalant une douleur élevée (comparés aux patients avec un niveau de douleur faible) a reporté des difficultés « certaines » ou « extrêmes » de mobilité (1,9% vs 0%), dans les activités de la vie quotidienne (7,2% vs 0,2%), avec leurs douleurs (17,1% vs 0,7%), de l’anxiété et de la dépression (12,5% vs 0,9%) (4). L’impact de la douleur sur tous les aspects de la vie quotidienne est donc majeur.

L’impact de la douleur sur la qualité de vie des patients mesuré à l’aide du questionnaire EQ-5D-3L
(EuroQoL à 3 niveaux et 5 dimensions)

Strand, Vibeke et al. et al. Pain and Pain and Fatigue in Patients With Ankylosing Spondylitis Treated With Tumor Necrosis Factor Inhibitors, JCR: Journal of Clinical Rheumatology December 2021


Comment réduire cette différence de perception ?

Les recommandations pour la prise en charge des maladies chroniques soulignent la nécessité de tenir compte des perspectives des patients et de la prise de décision partagée (2).  Les rhumatologues pourraient utiliser de façon plus systématique les outils d’évaluation de la douleur tels que : l’échelle d’autoévaluation EVA en premier lieu, permettant d’objectiver les ressentis. Une évaluation qualitative plus détaillée doit toujours accompagner l’interrogatoire. Elle permet de distinguer les différents types de douleurs retrouvées, associés aux rhumatismes articulaires (douleur nociceptive, neuropathique, nociplastique ou mixte). Cliquer ici pour lire l’article du Pr Bertin à ce sujet.

Afin de s’orienter vers une décision partagée de prise en charge, l’évaluation de la douleur, qu’elle soit inflammatoire ou non, doit se faire avec le patient. Il est généralement admis qu’il est nécessaire de faire preuve de pédagogie, d’expliquer les douleurs et les options thérapeutiques existantes, avec le vocabulaire adéquat. Dans ce contexte, la méthode des 4R s’avère souvent efficiente (5) :


1) Recontextualiser – c’est-à-dire situer la douleur dans le cadre de la pathologie, l’expliquer, la faire préciser par le patient

2) Reformuler les dires du patient, son ressenti, sa perception de la douleur et ses conséquences sur sa vie quotidienne, ses attentes et objectifs

3) Résumer les étapes franchies, les traitements mis en place, les éléments rapportés par le patient, et les objectifs visés de part et d’autre

4) Renforcer, c’est-à-dire appuyer et soutenir les bons comportements, notamment d’observance, pour les pérenniser

Au total, c’est une véritable alliance avec le patient qui permet d’établir un dialogue autour de sa douleur et de co-construire avec lui des solutions sur mesure.