Par le Pr Philippe Bertin
Rhumatologue, Limoges

La douleur représente le premier motif de consultation médicale, tout particulièrement en rhumatologie, et très certainement l’une des situations cliniques les plus difficiles à vivre pour les patients et à gérer pour les médecins.

Ceci est lié à de multiples facteurs :

  • la multiplicité de la nature et du type de douleurs : douleur aiguë, douleur chronique, douleur nociceptive, neuropathique, nociplastique. (1)
  • les composantes multiples de la douleur : sensori-discriminative, affectivo-émotionnelle, cognitive et comportementale. (2)
  • les représentations sociales, culturelles, religieuses de la douleur. (1)

L’objet de cet article est de présenter de façon pragmatique les données récentes de classification des douleurs afin de mieux comprendre ce dont souffrent nos patients lorsqu’ils nous décrivent leurs douleurs, dans le but d’optimiser leur prise en charge thérapeutique.


Classification des douleurs

Douleur aiguë / chronique

La douleur aiguë est un symptôme d’alerte ayant pour finalité de protéger l’être humain d’agressions extérieures ou internes. C’est une réponse physiologique sensorielle désagréable liée à la stimulation des nocicepteurs périphériques par des stimuli mécaniques (douleur d’horaire mécanique), thermiques, chimiques (douleur d’horaire inflammatoire). (1)

Par essence, la douleur aiguë est nociceptive et son intensité est corrélée à la sévérité et à l’étendue de la lésion causale.

La douleur chronique est définie par une durée de plus de 3 mois (1). Elle peut être liée à la persistance de stimuli nociceptifs : c’est par exemple la douleur chronique nociceptive inflammatoire des Rhumatismes Inflammatoires Chroniques (RIC) évolutifs.

Souvent, la douleur chronique est dissociée de l’évolutivité de la lésion initiale et n’est donc plus la conséquence exclusive d’une lésion ou d’une inflammation évolutive mais résulte d’une activité inappropriée du système neuro-sensoriel. Ce sont les douleurs neuropathiques ou nociplastiques qui par essence sont chroniques. (1,3)


Douleurs neuropathiques / nociplastiques

Les douleurs neuropathiques sont liées à une lésion post-traumatique, post-infectieuse, post-chimiothérapie ou métabolique du système neurosensoriel. Ce dernier génère une sensation douloureuse alors même qu’il n’y a plus de stimulus douloureux en périphérie. (3,4)

Les douleurs nociplastiques sont définies comme des douleurs liées à une altération de la nociception, malgré l’absence de preuve d’une lésion tissulaire activant les nocicepteurs, ou d’une maladie ou lésion affectant le système somato-sensoriel. (3,4,5)

L’expression clinique des douleurs nociplastiques est très proche des douleurs neuropathiques et la prise en charge thérapeutique relève des mêmes stratégies. (3,4)

Pour différencier les 3 types de douleur, nociceptive, neuropathique, nociplastique, il faut écouter l’expression clinique de la symptomatologie rapportée par le patient, prendre en compte le contexte clinique global, savoir utiliser les questionnaires tels que le DN4 pour diagnostiquer les douleurs neuropathiques, celui de l’ANAES de la douleur chronique, le questionnaire First et le questionnaire ACR fibromyalgie pour orienter vers une douleur nociplastique. (3,4)

En pratique, il n’est pas rare qu’un patient présente de façon simultanée une douleur nociceptive et une douleur neuropathique ou nociplastique : c’est alors une douleur dite mixte. (1)


Intérêt de cette classification des douleurs

L’analyse sémiologique d’une douleur permet de la classer entre ces trois types de douleur sus-cités.

Cela débouche sur deux intérêts :

  • Éviter de faire des erreurs d’orientation thérapeutique, comme par exemple intensifier les traitements biologiques d’un RIC alors qu’en réalité le patient souffre de douleurs neuropathiques ou nociplastiques avec des stratégies de prise en charge différentes.
  • Arrêter de raisonner faussement en palier I, II, III et choisir une stratégie thérapeutique la plus appropriée, médicamenteuse (telle que les antalgiques) ou non. Par exemple, face à des douleurs nociceptives, prescrire des antalgiques anti-nociceptifs; face aux douleurs neuropathiques prescrire, des antalgiques « anti-hyperalgésiques » ou « modulateurs des contrôles inhibiteurs descendants »; et enfin, face aux douleurs nociplastiques, s’orienter vers des thérapies non médicamenteuses. (3,4,7)

Application pratique aux Rhumatismes Inflammatoires Chroniques (RIC)

Les patients souffrant de Polyarthrite Rhumatoïde ou de Spondyloarthrite peuvent présenter différents types de douleur au cours de l’évolution de la maladie, soit de façon séquentielle soit de façon simultanée. (6)

  • Au début de la pathologie, comme à chaque poussée évolutive, les mécanismes inflammatoires responsables de la maladie entraînent des douleurs aiguës nociceptives inflammatoires.
  • Si la pathologie n’est pas totalement contrôlée par les traitements de fond, la persistance des phénomènes inflammatoires conduit à des douleurs chroniques inflammatoires mais aussi, potentiellement, par sensibilisation périphérique et centrale, à des douleurs nociplastiques.
  • Si les processus inflammatoires sont contrôlés, par une biothérapie par exemple, le patient n’a plus (ou très peu) de douleurs inflammatoires.
  • Si malheureusement le contrôle de la pathologie intervient trop tard ou incomplètement, les douleurs nociplastiques persistent et peuvent parfois aboutir au paradoxe d’une pathologie considérée en rémission selon les critères objectifs médicaux, alors que le patient se plaint de douleurs et ne se sent pas suffisamment soulagé, puisque les douleurs nociplastiques ne répondent pas aux thérapeutiques de fond ni aux antalgiques classiques. (3,4,avis d’expert)
    Le ressenti des douleurs nociceptives est souvent déclenché ou aggravé pour une comorbidité psychologique de type anxiété ou dépression.
  • Par ailleurs, après une chirurgie, un zona, ou à cause d’une neuropathie liée ou non au RIC, le patient peut développer des douleurs neuropathiques, au cours de l’évolution de sa pathologie.
  • Enfin, si, malheureusement, le RIC non contrôlé induit des lésions structurales articulaires ou rachidiennes, le patient ressentira des douleurs aiguës ou chroniques nociceptives mécaniques.

Ainsi tout au long de la prise en charge d’un patient souffrant d’un RIC, au delà de l’indispensable traitement de fond de la pathologie, il faudra détecter et qualifier les douleurs du patient pour adapter au mieux sa prise en charge. (7)


RIC : rhumatisme inflammatoires chroniques
ACR : American College of Rheumatology
ANAES : Agence Nationale d’accréditation et d’évaluation en santé